Comme j'ai écrit auparavant, il y a des personnes étrangères qui travaillent en médias dans les zones des rebelles à Idlib et ses alentours. Par exemple il y a Moussa al-Hassan qui dit qu'il est un reporter français indépendant. Il a un canal qui s'appelle Nouvelles En Direct Du Terrain. Récemment j'ai fait un entretien avec lui au sujet de la situation à Idlib et ses alentours.
Nous avons vu que les factions ont perdu beaucoup de territoires récemment. À votre avis pourquoi? Par exemple Sheikh Jowlani a dit que le probleme est la faiblesse en organisation militaire. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette analyse? Il y a des raisons autres qui expliquent ces pertes?
Ce n'est pas récemment que les rebelles perdent du territoire. Si nous revenons quelques années en arrière, depuis le début des accords d'Astana et celles de Sotchi, les rebelles ont constamment perdu du territoire, notamment au sud du pays dans les régions de Deraa, la Ghouta-Oriental, à Homs, au sud de Hama ou encore à l'est du chemin de fer, et récemment au nord de Hama, au sud d'Idlib et à l'ouest d'Alep. Pour ma part, je pense que l'une des raisons principales de ces pertes est l'application des accords d'Astana et de Sotchi. Bien que plusieurs factions ont affirmé rejeter ces accords, il n'y a pourtant pas eu de réelles actions pour contrer les négociations. Ces accords ont gelé certaines zones de combats et ont permis au régime d'Assad et ses alliés de se concentrer sur d'autres régions, comme c'était le cas pour la Ghouta, Deraa et Homs, puis finir par isoler Idlib pour la bataille finale. Le régime avait donc sécurisé ses arrières pour se concentrer facilement au nord. Il aurait fallu aux rebelles ouvrir des fronts, à Lattaquié ou dans la ville d'Alep par exemple dans les zones les plus sensibles, pendant que le régime concentrait ses forces au sud. Les rebelles n'ont pas profité de ces moments clés pour affaiblir le régime et tenter de progresser sur différente région. Aussi, il serait injuste de ne pas mentionner l'intervention militaire russe et la politique de la « terre brulé » qu'applique l'armée pour avancer dans les régions, car quoi que l'on dise, l'armée d'Assad n'aurait jamais pu relever sa tête sans l'aide de la Russie et de l'Iran. Ces deux états ont énormément contribué et ont dépensé des milliards de dollars pour aider Assad face aux rebelles. Des villes ont complètement été rasées par la puissance des frappes aériennes. Il est difficile aux rebelles de tenir sur une longue durée et repousser l'armée sous des bombardements extrêmement violents. D'autant plus, Les rebelles n'ont pas innové dans leur tactique militaire face au régime et à la Russie. Ils utilisent les mêmes tactiques depuis plusieurs années. Ils n'ont pas su adopter une stratégie militaire efficace leur permettant de stopper les offensives. Leurs capacités militaires sont largement inférieures aux armées, ils auraient dû donc appliquer une guérilla sur plusieurs fronts plutôt que d'affronter directement l'armée, comme c'est le cas jusqu'aujourd'hui. L'une des causes majeures pourrait être aussi les conflits internes et l'absence d'un commandement unifié. Rappelez-vous lors de la formation de Jaych al Fath en 2015, les rebelles réalisaient des progressions fulgurantes contre les troupes d'Assad, et tout ceci sous un commandement militaire unifié. Mais après les conflits entre HTS et Ahrar Al Cham ou Al Zinki, il est devenu très difficile pour les rebelles de s'unir comme c'était le cas auparavant. Donc je dirais que les paroles d'Abou Mohamed Al Joulani ne sont pas fausses car ces difficultés au niveau militaire ont toujours existé dans la révolution, mais je pense que le vrai problème se trouve dans la manière dont les rebelles font face aux évènements. Leur politique sur le terrain est erronée. Les rebelles n'ont auparavant jamais détenu une force d'attaque comme c'est le cas aujourd'hui. Le nombre de combattants est bien plus élevé. Les factions détiennent beaucoup plus de moyen financiers. Les inventions de véhicules blindés ou encore des drones téléguidés, tout ceci est nouveau pour la révolution. Mais malgré cela, ils n'arrivent pas à résister. Les erreurs militaires et politiques des rebelles ont malheureusement permis au régime d'atteindre les portes d'Idlib.
Est-ce que vous pouvez décrire des souffrances des civils en nord-ouest de Syrie? À quelles regions ils vont pour fuir le combat et le bombardment? Est-ce qu'ils peuvent entrer Afrin et la campagne au nord d'Aleppo sans restrictions?
Honnêtement, les mots ne suffiront jamais pour décrire la souffrance du peuple. Les syriens souffrent énormément depuis plus de 9 ans car ils souhaitent vivre en liberté et non sous le gouvernement d'un criminel. Bachar Al Assad n'a pas hésité à exterminer sa population, à détruire son pays et tuer même ses propres soldats pour se maintenir au pouvoir. On compte aujourd'hui plus d'un million de morts et de blessés, au moins 10 millions de déplacé soit la moitié de la population, et plus de 500 milles disparus. Les prisons sont remplies de civils qui n'ont commis aucun crime. Il suffit de voir les images satellites vous remarquerez que des villes entières ont complètement disparu et ont été anéanties. Bachar Al Assad n'a pas hésité à utiliser des armes chimiques contre son peuple, comme c'était le cas au Ghouta faisant plus de 1500 morts et également à Khan Cheikhoun faisant au moins 250 morts. Personne ne peut contredire ces crimes de guerre, des vidéos et images ont été diffusé dans le monde entier. Jusqu'aujourd'hui nous voyons encore des images de bombardement visant des civils, tuant femmes et enfants dans la région d'Idlib. Aujourd'hui, comme depuis 9 ans, le régime et ses alliés bombardent une nouvelle fois villes et villages pour prendre le contrôle de la dernière poche qui lui échappe, Idlib. Plus de 4 millions d'habitants y vivent, et n'ont actuellement aucun endroit où se réfugier. On compte au moins 1 millions et 200 milles déplacés depuis le début des offensives. Les routes sont bouclées dû aux milliers de syriens qui ont fui les bombardements. Une grande majorité des civils se sont réfugiés dans les zones d'Afrine, au nord et à l'est d'Alep. Il n'y a aucune restriction là-dessus. La ville d'Al Bab à l'est comprend beaucoup de refugié. Mais il y a aussi les zones frontalières à Idlib, comme Sarmada et Atma qui ont connu une grande vague de réfugié. J'ai été témoin de plusieurs familles vivant sous des arbres en période de pluie sans aucune aide. Les gens n'ont pas où se loger si ce n'est dans des camps de misère improvisée. Ces derniers jours encore, avec l'arrivée d'un froid glacial, plusieurs enfants ont trouvé la mort. Une famille a aussi été retrouvée morte de froid entre des oliviers au nord d'Idlib. La situation est catastrophique, les dons humanitaires ne suffisent pas. Il y a quelques jours, des tirs d'artilleries d'Assad ont frappé un camp de réfugié près de la frontière turco-syrienne, le jour d'après une campagne médiatique appeler les à « briser le mur de la frontière » sous la peur et la contrainte. Les zones libérées à Afrine et au nord d'Alep ne suffiront jamais à accueillir les 4 millions d'habitants d'Idlib au cas où les troupes d'Assad parviennent à prendre le contrôle de la région. Si la situation demeure ainsi, les civils n'auront d'autres choix que de traverser la frontière turque.
Comment est-ce que vous analysez le rôle de Turquie en ces évenements? Est-ce qu'ils aident les factions de quelque manière? Il est possible que les turcs sauvent le nord-ouest?
Depuis le début de la révolution, la Turquie a été un facteur important pour les rebelles. C'est le seul pays qui a soutenu directement la rébellion et a accueilli plus de 4 millions de réfugiés syriens sur son sol. Ce qui se passe aujourd'hui dans la région d'Idlib et ses alentours met la Turquie face à un grand danger. Après les accords de Sotchi et les 12 points d'observations turcs qui ont été établis dans la région, la Turquie pensait pouvoir contenir et empêcher le régime syrien de prendre le contrôle d'Idlib par une solution politique, et ainsi éviter un grand flux de déplacement vers sa frontière, mais ça n'a pas été le cas. Il faut savoir qu'en Turquie, la situation est devenue difficile pour le parti d'Erdogan après la défaite des votes municipales à Istanbul, Ankara et Izmir, les trois plus grandes villes du pays. Le peuple turc en grande majorité souhaite un retour des syriens dans leur pays. Le président Erdogan s'est exprimé plusieurs fois sur ce sujet en disant qu'il allait renvoyer les syriens chez-eux dans une zone sure. La Turquie n'est plus en mesure d'accueillir d'autres réfugiés. C'est également l'une des raisons pour laquelle la Turquie cherche à établir une zone de sécurité tout au long de la frontière syrienne afin d'assurer un lieu de refuge pour les civils. Donc il est clair que la Turquie ne peut se taire face à une telle situation à Idlib qui déroute les plans du président turc au nord syrien. Les événements à Idlib ont été annoncés comme « danger national » par le gouvernement turc. Le président devra donc utiliser toute ses cartes pour empêcher le régime et ses alliés d'avancer. La Turquie soutient et soutiendra militairement les rebelles contre le régime, tant que ses intérêts seront en jeu. On peut lire sur les réseaux sociaux des images de blindés turcs entre les mains des rebelles lors d'une offensive contre les forces d'Assad au sud d'Idlib. Ces derniers jours aussi, 2 hélicoptères ont été détruits par des tirs de MANPADS qui ont été fourni par la Turquie. D'ailleurs, la mort des 17 soldats turcs à Idlib tués par les forces du régime, renforce la thèse d'Erdogan de repousser et se venger du régime. Il se peut que la Turquie puisse sauver le nord-ouest si elle parvient à trouver une solution dans l'intérêt des rebelles et non dans l'intérêt russe. Nous voyons clairement que les accords d'Astana et de Sotchi n'ont abouti à aucun résultat. Les troupes d'Assad poursuivent leurs offensives dans la région depuis plusieurs mois. Aucun cessez-le-feu ni accords n'a été respecté. La Turquie a demandé un retrait des forces d'Assad jusqu'au frontière délimité par l'accord de Sotchi, ce qui a été refusé par la Russie. Je pense qu'aujourd'hui Erdogan s'est rendu compte que la Turquie a été dupée entre autres par les accords, il n'a donc pas d'autres choix d'intervenir directement à Idlib, de soutenir les rebelles militairement et de demander un soutien des Nations Unies pour préserver ses intérêts. Mais je n'exclus pas le fait qu'il pourrait y avoir un nouvel accord entre Erdogan et Poutine concernant Idlib, tant que ses intérêts seront préservés, même si je ne pense pas que cela aboutira à une solution positive pour la révolution.
Si ils ne sauveront pas le nord-ouest, alors quelle est la solution à cette crise? Par exemple il y a des personnes qui pensent qu'il est nécessaire dissoudre HTS bien qu'ils portent le fardeau de la plupart du combat. Qu'est ce que vous pensez de cette idée?
Je ne pense pas qu'il y ait une solution à cette crise si ce n'est par la chute du régime de Bachar Al Assad. Cela fait déjà 9 ans que les syriens se battent durement face au crime du régime syrien. Nous avons clairement vu l'impuissance des Nations Unis qui ont littéralement délaisser les syriens à leur propre sort depuis 9 ans. Le pays a totalement été détruit. Des milliers de civils ont été touché par les crimes d'Assad, certain ont perdu leurs enfants, d'autres leurs frères et sœurs et leurs parents. Les syriens ne s'arrêteront pas tant que Bachar Al Assad et son gouvernement seront au pouvoir. La révolution syrienne dure jusqu'à présent, les syriens souhaitent la liberté de vivre dans une zone sécurisée, loin de l'autorité d'Al Assad. Rappelez-vous que des milliers de personne ont été déplacés de leurs villes, de Damas, Deraa, Homs et Hama car ils refusaient de vivre sous l'emprise d'un régime qui tue femmes et enfants. Ces gens rêvent de rentrer chez eux, dans leurs villes natales, mais librement, sans Assad. Le seul moyen d'y parvenir c'est de résister et ils le savent. Vous avez un bel exemple avec le peuple afghan qui a réussi à vaincre l'union soviétique et aujourd'hui les talibans qui ont vaincu les américains, après plusieurs années de guerre. Les syriens ont compris cela et poursuivent leurs révolutions jusqu'à atteindre leurs objectifs. Non, il n'est pas nécessaire de dissoudre HTS pour mettre fin à la crise. HTS n'est qu'une faction rebelle parmi tant d'autres, qualifié de « djihadiste » pour ses antécédents. HTS n'est plus Al Nosra. Aujourd'hui même les factions les plus modérées soutenu par la Turquie sont qualifié de « djihadistes » par certains médias. Par exemple, lors de l'opération « Sources de Paix », les médias pro-FDS qualifiaient les factions combattantes de djihadistes salafistes ; ce qui est absurde. Tout le monde sait que les factions sous contrôle des turcs ne sont que des groupes rebelles. Je pense que porter le fardeau de cette guerre sur le dos d'HTS n'est qu'un moyen de justifier les offensives et s'emparer de la région. Il faut savoir que lorsque la révolution a débuté, il n'y avait pas d'HTS ou une quelconque faction djihadiste dans le pays. Les rebelles contrôlaient à cette époque plus de 70% de la Syrie sans aucune aide extérieure et sans la présence d'une faction djihadiste. Le régime d'Assad commettait les mêmes exactions qu'aujourd'hui contre les civils et les rebelles avant l'apparition des djihadistes. Ce qui était encore le cas il y a quelques années pour la Ghouta Orientale et à Deraa, où les factions rebelles modérées étaient largement dominantes, mais cela n'a pas empêché au régime de bombarder massivement pour s'emparer de la zone. Je pense vraiment que toute ces choses ne sont que des excuses pour justifier les attaques. Bachar Al Assad ne veut tout simplement pas perdre son pouvoir et compte mettre fin à la révolution. Les syriens souhaitent la liberté tandis que Bachar Al Assad ne veut pas leur donner, je pense donc que cette guerre continuera tant que les objectifs de la révolution ne seront pas atteints.
Est-ce que vous avez un message pour la ummah et pour le monde en général?
Ce que je pourrais dire c'est que les musulmans ne devraient pas oublier les syriens. Cette population souffre énormément depuis des années. Des milliers de personnes ont été obligés de quitter leurs maisons à cause des bombardements et vivent désormais dans des tentes. La communauté musulmane doit impérativement se serrer les coudes et soutenir leurs frères et sœurs dans ces épreuves. Nous avons une force, nous avons les moyens de changer l'état de ces pauvres gens. Nous avons les capacités de leur venir en aide et de leur redonner le sourire. Je m'adresse également à la communauté internationale : nous sommes tous témoin des massacres commis par le régime d'Assad et les russes contre les civils dans la région d'Idlib et ses alentours depuis des mois. Des dizaines de vidéos montrent des enfants sous les décombres et des femmes tués par des frappes aériennes. Des familles sont retrouvés mortes de froid alors que le régime bombarde massivement la région. L'Humanité n'existe plus en eux. Ces évènements nous prouvent clairement l'hypocrisie des Nations Unis et des lois internationales qui n'ont aucun effet sur les crimes de guerre causés sur les civils musulmans. De nombreux États discutent de la Syrie pour leur propre sécurité, mais ne pense pas à la sécurité des syriens face à la barbarie du régime. Ils sont témoin de cette crise humanitaire à grande échelle, soit la plus grande du 21ème siècle. Si toute ces organisations et ces lois n'ont pas la force de stopper les crimes d'Assad et sauver des millions de personne, j'appelle donc le monde entier en dehors de ces organisations, à soutenir les syriens. Soutenez-les par tous les moyens que vous pouvez, sur les réseaux sociaux, en envoyant des aides humanitaires et des soins médicaux, financièrement ou ne serait-ce qu'en envoyant des tentes pour qu'ils aient un abri. Soutenez-les en partageant leurs souffrances et condamner les exactions du régime d'Assad et de la Russie contre les civils. Les syriens ont besoin de vous. Agissons dès maintenant.